À l’orée des élections européennes, la droite radicale lance une offensive contre les actions en faveur du climat dans plusieurs nations. Cette confrontation idéologique contre une stratégie jugée comme favorisant une élite pourrait compromettre les aspirations de l’Union Européenne dans ce domaine.
L’idée que l’adoption d’une pompe à chaleur pourrait favoriser la montée de l’extrême droite pourrait sembler absurde à première vue. Pourtant, c’est l’une des raisons qui expliquent la montée en puissance du parti Alternative pour l’Allemagne (AfD) dans les sondages avant les élections européennes du 9 juin. Au cours des derniers mois, ce parti nationaliste et populiste a fait de la loi visant à diminuer le recours aux chaudières à gaz et au fioul et à promouvoir les pompes à chaleur un nouvel outil de lutte contre la gauche. Cette loi, présentée par le chancelier social-démocrate Olaf Scholz comme essentielle à la transition énergétique, est donc devenue un enjeu majeur pour l’AfD.
Les dirigeants de l’AfD se sont opposés avec véhémence à cette loi, allant jusqu’à qualifier cette transition énergétique de « massacre du chauffage ». Et cette stratégie semble avoir porté ses fruits. En effet, le nombre de membres du parti est passé de 29 500 à 35 000 en 2023, comme l’indique l’agence de presse allemande DPA, qui se base sur les chiffres fournis par le parti. Plus important encore, l’AfD est créditée de 17 à 20% des intentions de vote dans les sondages, soit le double de son score aux élections législatives de 2021.
Critique de « l’écologie punitive »
Une stratégie similaire est observée au-delà des frontières allemandes, à l’approche des élections européennes. Alors que les partis d’extrême droite étaient auparavant ouvertement climatosceptiques, « la plupart ont abandonné ce discours, alors que l’inquiétude face au changement climatique se fait de plus en plus sentir, même si certains restent climatosceptiques », explique Lluis de Nadal Alsina, sociologue à l’université de Glasgow (Ecosse) spécialisé dans les relations entre les populismes et les mouvements sociaux. « Ils concentrent désormais leurs critiques sur les mesures prises par les gouvernements et sur les acteurs de la lutte contre le changement climatique » plutôt que sur le consensus scientifique, précise le chercheur. Toutefois, certains partis, comme l’AfD, continuent de contester l’origine humaine du réchauffement climatique, comme le rapporte le quotidien britannique Financial Times.
En France, le Rassemblement national (RN) a suivi une trajectoire similaire. En 2010, Jean-Marie Le Pen dénonçait encore une « manipulation » du « prétendu réchauffement climatique ». Aujourd’hui, « on voit que le RN a la volonté d’intégrer la question du réchauffement climatique dans son discours global sur le déclin de la France, même si je ne suis pas dupe de ce qu’ils pensent réellement », note l’eurodéputée sortante Marie Toussaint, tête de liste de la liste écologiste pour les élections européennes.
« Nous voulons tout faire pour améliorer la situation environnementale », affirme à France Matin l’eurodéputé RN sortant Jean-Paul Garraud. Pourtant, le programme de Marine Le Pen pour l’élection présidentielle de 2022 avait été jugé « très éloigné » des objectifs de la France en matière de climat, selon une analyse de France Matin et de l’association Les Shifters. Le RN focalise son attention sur certains sujets symboliques, comme l’installation d’éoliennes, à laquelle il s’oppose « farouchement », selon les mots de la députée Edwige Diaz sur France Matin, en novembre 2022. « Nous critiquons l’écologie punitive [mise en place par l’UE], qui assomme les citoyens de normes, car elles vont appauvrir le pays. Il s’agit d’une politique de décroissance », détaille Jean-Paul Garraud.
La voiture comme symbole identitaire
L’Union européenne (UE) et son Pacte vert sont souvent au centre des critiques des partis d’extrême droite. Ce paquet de mesures vise à réduire de 55% les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Parmi les nombreuses dispositions, l’interdiction de la vente de voitures neuves à moteur thermique en 2035, adoptée en mars par l’UE, est particulièrement critiquée. « Avec cette mesure, on nous retire le choix, c’est une atteinte à nos libertés fondamentales », s’insurge Jean-Paul Garraud.
L’appel à « la liberté » contre « le monstre technocratique » bruxellois est un argument fréquemment utilisé par d’autres partis d’extrême droite. Aux Pays-Bas, Geert Wielders, vainqueur des élections de novembre et bientôt membre de la coalition au pouvoir, a ainsi promis de se débarrasser des lois en faveur du climat, estimant que son pays ne sera pas affecté par la crise climatique. Ces mouvements associent « les pompes à chaleur, les migrants, l’euro et les personnes transgenres » pour dépeindre « un monde incontrôlable, remodelé par les élites mondialisées », résume Politico à propos de l’AfD.
« Il est logique que l’extrême droite s’attaque aux écologistes, car nous représentons tout ce qu’elle déteste. »
Marie Toussaint, eurodéputée EELVà France Matin
« Pour les populistes, la lutte contre le changement climatique est perçue comme une lutte contre un agenda lié aux questions sociétales et imposées par les élites mondiales contre les peuples », résume Lluis de Nadal Alsina. La voiture à moteur thermique devient ainsi un symbole identitaire, tout comme certains modes de vie. En Pologne, les populistes ont ainsi combattu les politiques de transition énergétique en les opposant aux travailleurs dans les mines et aux valeurs traditionnelles, comme le rapportent des chercheurs sur le site de l’université de Bergen (Norvège).
Les partis d’extrême droite, aidés par la crise énergétique de 2022 et l’inflation, profitent de ce que les médias anglophones appellent le « backlash » (retour de bâton) contre les politiques climatiques. En février, les élections municipales de Berlin (Allemagne) sont devenues un référendum sur la place de la voiture en ville, que la gauche voulait réduire, comme le rapportait Euractiv. En Espagne, plusieurs villes dirigées par la droite et l’extrême droite depuis le printemps ont décidé de supprimer des pistes cyclables, comme le rapportait en septembre Euronews. Aux Pays-Bas, c’est l’interdiction de l’utilisation de l’azote, nocif pour le climat, imposée aux agriculteurs qui a fait grimper le vote populiste lors des élections locales en mars.
« Il est certain qu’il y a cinq ans, lors des élections européennes de 2019, nous avions le vent en poupe, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui », analyse Marie Toussaint, alors que les partis écologistes sont en baisse dans les sondages dans la plupart des pays européens. « Le problème, c’est que l’on a mis en place des politiques environnementales qui sont inégalitaires, comme la taxe carbone aux frontières que nous voulions rendre progressive », ajoute l’écologiste qui se souvient de la révolte des bonnets rouges contre l’écotaxe de 2013 et plaide pour « affirmer l’attachement de la question de la justice sociale dans la transition ».
Virage à droite de l’Europe
« Ces exemples envoient le message aux politiques qu’il y a une résistance à l’agenda visant à la neutralité carbone de l’UE », souligne Lluis de Nadal Alsina. Dès lors, la question du coût politique préoccupe les dirigeants européens. Emmanuel Macron a appelé en mai à une « pause réglementaire européenne » en matière d’environnement. « Au Royaume-Uni, les conservateurs ont largement réduit leur ambition en matière de climat, notamment à cause du coût politique de ce ‘backlash' », ajoute Lluis de Nadal Alsina.
« La droite traditionnelle est clairement revenue sur ses engagements en matière d’environnement », s’inquiète de son côté l’écologiste Marie Toussaint. La décision du président Les Républicains de l’Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez de ne pas appliquer la loi
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